La ville est notre espace commun
Le paysage est le visage du monde offert à l’œil nu. Sculpté par la Nature ou façonné par l’homme il est depuis toujours une des principales sources d’inspiration des artistes. Loin des soubresauts de la mode, Claire Laporte a voulu s’inscrire dans cette longue lignée des « paysagistes ». Depuis son retour des Etats-Unis en 1995, la tête pleine d’images urbaines, elle a abandonné le graphisme pour se consacrer à la peinture librement figurative. Inspirée par certains maîtres américains comme Edward Hopper, George Bellows ou John Sloan, elle peint la ville, à mille lieux de toutes les autres.
Dans l’univers de Claire Laporte la cité est un théâtre nu, un décor presque sans acteur, des contrastes de lumiâre sur une scâne irréelle et pourtant familiâre. C’est Paris au quotidien, bien sûr, ses beaux immeubles haussmanniens, ses bistrots, son fleuve, ses ponts et ses canaux, son passé industriel ; ou bien Barcelone, ses terrasses ensoleillées et ses murs ocres. Etrange : tout est à sa place mais rien n’est vraiment pareil. Il y a dans cette représentation de l’urbanité un mystérieux décalage entre ce que l’on connaît et ce que l’on perçoit. La ville est bien notre espace commun. Et pourtant, nous avons chacun notre ville dans la ville.
Son travail autour du cinéma La Pagode est une parfaite synthâse des sujets qui l’inspirent : des lieux intemporels, habités et fragiles. Regardez cette étrange façade de faux temple asiatique dissimulé derriâre des drapés de toge et une végétation filamenteuse. Du bâtiment on ne voit que les toits, des pans de murs et une porte vitrée. Chapeautée de son échafaudage laqué rouge, on comprend que la pagode souffre de déchéance. Sa splendeur cachée nous intrigue comme ce crénelage de céramique bleu qui grimpe mystérieusement le long d’une cheminée aveugle pointant vers un ciel laiteux. Il y a un monde dans ce tableau et son visage a le regard perdu (effrayé ?) de l’actrice Julianne Moore sur l’affiche du film « Far from Heaven ».
Les pinceaux de Claire Laporte nous invitent à la contemplation des lignes, des tons et des transparences qui nous entourent. Sa technique se veut rassurante : une peinture sans effet ni maquillage. Son discours est ni conceptuel ni glamour : montrer sans démontrer, faire partager ses émotions picturales au gré de ses flâneries. C’est le plus grand des luxes dans la plus modeste des ambitions. Juste prendre le temps d’ouvrir les yeux à la vitesse que met l’huile pour sécher sur la toile. Gens pressés s’abstenir.