Le temps des Mongols et celui des Japonais
Ma femme et moi sommes allés en Mongolie l’année dernière et il y a deux ans. Je dessinais en voyageant dans ce pays. Pour notre deuxième voyage, nous avons engagé un guide afin d’aller voir Naadam (la fête nationale) à la campagne. Ayant déjà visité la capitale Ulaan Baator l’année d’avant, nous nous sommes déplacés jusqu’à Karakorum dès notre arrivée. Nous avons passé une nuit au camping. Cette zone était en train de se transformer en désert. La petite promenade à dos de chameau (*1) m’a évoqué le fameux désert de Gobi. Nous avons pousuivi la route en passant par Tsetserleg, préfecture de Arkhangaï puis Tsenkher connue pour sa station thermale. Le directeur de la station thermale nous a prêté sa jeep. Ainsi avons-nous décidé d’aller au lac de Terkhiyn Tsagaan, villégiature très appréciée du pays. On nous a dit que nous pourrions revenir à Tsetserleg largement avant la fête de Naadam qui avait lieu dans deux jours.
Nous sommes partis dans deux jeeps en chantant en mongol, de bonne humeur, faisant une halte pour nous approvisionner au Zakh (marché). On a reçu un PV pour non-respect d’un sens unique sur une route où il n’y avait aucun autre véhicule. Quand on allait enfin repartir, une des jeeps ne voulait plus démarrer. Elle a quand même démarré après un changement de pièce. Mais je ne me sentais pas très rassuré. Nous avons traversé la rivière Tamir, sommes passés à côté de l’énorme rocher Taïkhar qui a poussé abruptement sur la plaine et cherchions la maison du frère du directeur. Elle n’y était plus. Il a changé de place cette année. En demandant aux habitants de yourtes, nous sommes parvenus chez lui, secoués par de mauvaises routes. Malgré les efforts physiques, je n’avais pas trop d’appétit devant les Buuz (raviolis farcis de viande de mouton). Au déjeuner, le frère du directeur nous a servi des Tarvagni (marmottes). Il paraît que c’est le plat pour les invités les plus importants. Chaque fois que l’on bourrait le cou des marmottes avec des pierres brûlantes, de la vapeur montait. Nous étions une vingtaine avec toute la famille du frère du directeur. C’était lui, le chef de la maison qui nous a servis. Les yeux des enfants brillaient devant ce régal inattendu. C’était tendre et croustillant à l’extérieur. C’était délicieux. Nous avons reçu un cheval comme cadeau par le directeur. Nous ne pouvions naturellement pas l’amener au Japon. C’était plutôt comme un rite. Nous nous sommes promenés un peu aux alentours avec ce cheval dont la selle était faite en bois pour le rite. Impossible donc de galopper ! Cela faisait trop mal. En fait, quand le directeur était venu au Japon, je l’avais amené au zoo de Ueno et à Shinjuku. Juste une petite visite dans Tokyo. Pour me montrer son remerciement, il en faisait beaucoup !
Nous avons quitté cet endroit bien après le déjeuner. Et puis, il y a eu l’arrivée soudaine de la pluie. Ensuite il y a en un arc-en-ciel. Un arc-en-ciel de 180 degrés sur l’horizon. On ne pouvait qu’être ému ! La route longeait la rivière Tchuluut. L’arbre gigantesque oboo (objet du culte chamaniste), ramifié en 100 branches s’y trouvait. Nous sommes aussi passés à côté de la gorge érodée par la rivière Tchuluut. La paroi dont la hauteur atteignait 100 mètres se prolongeait interminablement. Un site magnifique. Il commençait à faire noir. En voyant mes compagnons mongols pas du tout pressés, je pensais que la destination n’était pas loin. C’était une grosse erreur. Il était 2 heures du matin quand nous y sommes arrivés. Nous avons monté les tentes et une cuisinière accompagnatrice nous a servi le dîner à 3 heures du matin. Le mouton bouilli ne passait pas facilement. Le directeur qui a conduit tout le trajet ne montrait même pas un signe de fatigue et buvait joyeusement.
Au lever du soleil, un lac pur se présentait là, devant nous. Transparent, j’y voyais des poissons nager. Une roche saillissait de l’autre côté. Le directeur nous a raconté une légende concernant cette roche. J’ai dessiné le lac avant le petit-déjeuner (*2). Le lac serait relativement récent, né après une éruption volcanique. Nous sommes allés jusqu’à la roche légendaire en voiture et nous nous sommes baignés. Ensuite nous sommes partis jusqu’au cratère du volcan endormi. Nous étant trompés de chemin, nous étions obligés de revenir et de monter finalement une côte assez rude. Nous avons fini cette côte à pied. Il a fallu 20 minutes. C’était dur pour nous, les Japonais. Ce beau cratère m’a fait penser à un piège de fourmi-lion. Les Mongols descendaient en glissant comme des insectes piégés et aspirés vers le fond. Sept Mongols se trouvaient en bas. Ils criaient pour qu’une autre personne descende. Apparemment le numero sept ne portait pas bonheur ici. Je n’avais pas le courage car il fallait remonter une fois descendu ! Nous avons déjeuné au camping. La cuisine était moins typée, adaptée au goût des touristes. Nous sommes allés voir une fosse en glace créée par le volcan car “on avait encore le temps”. La glace y restait toute l’année et il y faisait très frais. Une des jeeps avait un problème et nous nous sommes arrêtés à un garage. C’était une simple maison. Le garagiste était absent. Nous l’avons attendu. En arrivant, il abouché un trou avec son chewing-gum. Je ne connais rien à la mécanique, mais quand même…!
En revenant à la rivière Tchuluut, on a décidé de pêcher. Les Mongols sont donc partis attraper des criquets. Je dessinais sous la puie (*3). Inquiet, le directeur est venu me voir et m’a dit : “Tout ce que je souhaite, c’est que vous fassiez de beaux dessins.” Cela m’a ému. Malheureusement les couleurs ont coulé sous la pluie. Nous avons dîné de Buuz dans la pénombre avec la lumière des torches électriques. Il faisait complètement noir quand nous avons fini de manger. Inquiet, j’ai demandé au guide si nous pourrions rentrer à Tsenkher dans la soirée. La réponse était : “Zügeer ! (Pas de problème)” Après quelques heures de route, les deux jeeps ne se suivaient plus. La première a attendu la deuxième. Mais, pas une ombre. Une heure après, nous nous sommes enfin retrouvés. J’ai à nouveau posé la même question au guide. Et la même réponse. “Zügeer. Zügeer.” Il était minuit passé. En me rappelant le chemin de l’aller, j’étais inquiet. C’est alors que la jeep qui avait été rafistolée ne démarrait plus. L’autre jeep la tirait. J’ai demandé au guide si l’on pourrait revenir avant le lever du soleil. “Zügeer. Zügeer.” Mais, nous n’arrivions pas à franchir le dernier col et le tracteur de la station thermale a dû venir nous aider.
Il était 9 heures du matin passées quand nous sommes revenus. J’étais éreinté. Le chauffeur de bus qui est venu nous chercher m’a dit en souriant : “Normalement, le déplacement comme ça ne se fait pas en deux jours.” Mais, personne ne me l’avait dit avant ! Nous avons pris un bain et dormi un peu. En me levant, je suis parti me promener à cheval. J’ai demandé au guide, “On aura le temps de monter à cheval avant de partir voir Naadam ?” La réponse était toujours la même. A cheval, j’ai rencontré les parents nomades que j’avais dessinés l’année d’avant. Je leur ai offert une photocopie du dessin mise dans un cadre (*4). L’air timide mais contents, ils montraient le cadre aux autres nomades. Nous sommes aussi passés chez un autre nomade et là aussi, nous avons été accueillis comme des rois. Mais, je commençais à me soucier sérieusement du temps. Enfin, je pensais que l’on allait partir voir Naadam, mais non. Le directeur nous a servi du mouton. Un certain haut fonctionnaire et sa famille étaient invités. C’était un futur candidat ambassadeur au Japon. Il maîtrisait parfaitement le japonais. Il racontait même des blagues !
Nous sommes partis pour de vrai, voir Naadam, le premier but de notre voyage. Mais les courses de chevaux étaient déjà finies. Les luttes mongoles s’approchaient de la fin et j’étais trop loin pour bien voir. J’ai failli m’évanouir de choc. J’ai commandé une boisson chez un épicier, sans parvenir à m’en saisir. A ce moment-là, le propriétaire de l’épicerie est rentré. Il est devenu le vice-champion de lutte. Le héros du quartier. En essayant de m’encourager, je lui ai demandé l’autorisation de le dessiner. Il a accepté de bon coeur et s’est changé en tenue officielle de lutte mongole (*5).
Les Mongols sont gentils avec nous, les voyageurs. Ils nous accueillent chaleureusement. Sans nous connaître, ils nous invitent chez eux à boire de l’alcool, du thé et à manger du fromage. Ils veulent nous montrer ceci et nous faire goûter cela. Ils nous font partager leurs expériences. Le Japonais a toujours un but et essaie d’avancer le plus vite et le plus efficacement possible. Le Mongol se réjouit de chaque instant. Même s’il n’atteint pas le but, ce n’est pas grave. Ils ont dû se dire : “Pourquoi les Japonais se soucient autant du temps ?” Et je me suis dit : “Les Mongols ne sont pas pressés, même quand ils sont très en retard. Ils ne sont vraiment pas stressés !”
Seul, je suis resté à Ulaan Baator dix jours de plus pour dessiner, en savourant le temps mongol (*6).
Atsuo ARAI
Artiste peintre
Né en 1959 à Nagano.
A participé à des expositions colletives.
(ex : Académie des beaux-arts “Dokuritsu”)
Finit par Effectuer des expositions individuelles,
une ou deux fois par an.
Peintures à la détrempe, aquarelles etc…