LE VIEUX COQ
Le vieux coq de notre clocher
Est venu nous rendre visite
Près du nouveau très bien paré
Il paraissait minable et triste
Les charpentiers l’ont descendu
Et sa carrière est terminée
Ainsi nous ne le verrons plus
Il va finir dans un grenier
Notre coq était fatigué
Il était usé par les ans
Il était tout bosselé
Flétri, oxydé et pourtant :
Il était beau sur son clocher
Il dominait tout le village
Inaccessible si haut perché
Bravant la pluie et les orages
On ne peut pas lui donner d’âge
Mais depuis longtemps il est né
Et il a vu tourner les pages
Des années du siècle dernier
Le monde était bien pauvre alors
Puis il vit s’enrichir les gens
Et disparaître les louis d’or
Et changer les gouvernements
La cloche sa bonne voisine
Le fit trembler bien souvent
Elle sonna les mâtines
Et c’était au bon vieux temps
On lui fit sonner midi
Pour les travailleurs des champs
Mais elle sonna aussi
Pour tous les événements
Elle sonna pour les mariages
C’était bien plus émouvant
Elle sonna pour tous les âges
Et pour les enterrements
Elle sonna le tocsin
Lorsque brûlaient les chaumières
Elle sonna le tocsin
Pour nous annoncer la guerre
Et notre coq impassible
Fut témoin de tout cela
Il demeurait insensible
Et ne se dérangeait pas…
Il vit passer les soldats
La fleur au bout du fusil
Puis à quelque temps de là
Les vit revenir meurtris
Il vit graver dans la pierre
Les noms de ceux qui manquaient
Puis il vit une autre guerre
Que personne ne voulait
Il vit notre terre de France
Envahie par l’étranger
Puis après bien des souffrances
Notre pays libéré
Et puis la paix revenue
Il vit tout se transformer
Depuis l’antique charrue
Jusqu’aux sabots du fermier
Il vit cette plaine immense
Qu’on qualifia de Pouilleuse
Recevoir d’autres semences
Et se montrer généreuse
Il vit les arbres périr
Et disparaître les haies
Il vit les champs s’agrandir
Et reculer la forêt
Sur la route qu’il domine
Les chevaux ne passent plus
Il voit passer des machines
Mais il ne les connaît plus
Dans des voitures rutilantes
Circulent des gens pressés
Si la vitesse les tente
Peut-être vont-ils se tuer
Les poules ne viennent plus
Picorer sur le chemin
Le chemin est une rue
Il n’y a plus de crottin
Alors notre coq s’ennuie
Il regarde le clocher
Et le clocher comme lui
Commence à se délabrer…
Il n’a pas été surpris
En voyant les charpentiers
Il avait déjà compris
Qu’il lui faudrait s’en aller
Alors on lui fit la fête
Après l’avoir promené
Mais il eut mal à la tête
Il n’était pas habitué…
Tant qu’il fut sur son clocher
Il avait de l’assurance
Depuis qu’on peut l’approcher
Il ressent sa déchéance
Et il regrette le temps
Ou les anciens du pays
Pour voir d’où venait le vent
Portaient leurs regards vers lui
C’est qu’il en a fait des tours
C’est qu’il a soufflé le vent
Il en a passé des jours
Il en est passé du temps
Mais ce beau coq orgueilleux
Qui le remplace déjà
A qui nous portons nos voeux
Que verra-t-il celui-là ?
Marcel GIRARDOT (1903-1994)