Le goût du voyage
Après des années de voyage (6 ans en Amérique latine, 9 ans en Asie), j’ai toujours le goût de l’inhabituel, du décalage. L’Inde, aujourd’hui encore, offre cette impression d’étrangeté, ce sentiment poétique propice à la création. Propulsée dans un pays où mes repères d’Occidentale sont balayés, ce sont mes étonnements, mes joies, mes rejets parfois, qui tisseront les mailles de cette aventure intérieure. (photo 1)
Aventure d’autant plus excitante pour le peintre qu’en Inde, le spirituel se vit, se voit, s’entend dans la rue, dans la vie de tous les jours.
La foi hindoue n’est pas emmurée dans les temples. La conscience du sacré habite l’Indien dans sa vie quotidienne et confère une grâce au moindre de ses gestes : l’art est dans la rue.
Au petit matin, j’aime m’installer sur la terrasse de ma maison qui surplombe la petite rue de mon quartier dans le bourg de Mahabalipuram (Tamil Nadu) et contempler, dessiner les femmes assises sur le sol en train de converser, de battre leur linge ; parées comme des princesses d’éclatants saris, elles s’emparent de la jarre d’eau, la calent sur la hanche pour rejoindre leur maison d’un pas dansant en dépit de la charge ; puis, d’un geste lent, elles coiffent leurs longues chevelures et l’ornent d’une guirlande de jasmin, (photo 2)
Leurs enfants rieurs passent tout leur temps libre à inventer des jeux tandis que les vaches déambulent librement, s’arrêtent devant les maisons pour se réchauffer aux premiers rayons du soleil et quémander une nourriture épicée qu’on leur offre généreusement.
Moments éternels nimbés de poussière d’or, moments de joie picturale qu’il me faudra retranscrire, réinventer dans l’atelier.
Quand l’aube chasse les ténèbres, que le temple a déjà chanté les louanges à SHIVA, les femmes s’activent sur le seuil de chaque maison. Accroupies, le geste gracieux et concentré, elles dessinent avec des poudres colorées un motif à caractère propitiatoire le KOLAM, dessin d’un jour, entrelac de fines lignes formant des figures géométriques parfois très complexes symbolisant, tels les MANDALAS, l’univers.
Mais la somptuosité des couleurs n’est pas réservée aux Kolams – Les murs sont couverts des emblèmes de partis politiques peints d’une main sûre : une mangue, un soleil levant, une fleur. Par endroit, la peinture écaillée dévoile les teintes précédentes et ces murs deviennent alors de véritables tableaux abstraits, perpétuellement changeants, sur lesquels joue l’ombre zébrée de la palme.
Aujourd’hui, c’est PONGAL : la plus grande fête de l’année au Tamil Nadu marque le début du printemps. C’est la fête des fermiers. On rend hommage à tout ce qui touche à leur métier : les outils, le charrue, le char à bœuf, le taureau, et la Vache qui sera bien sûr la reine de la fête.
Ce matin, j’ai rendez- vous avec mes voisines Sumitra et Amu pour dessiner un grand kolam, une vache à la langue rose et gourmande couchée devant un pot de PONGAL, riz cuit avec de la canne à sucre, cardamone et noix de cajou, (photo 3)
Joie d’être ensemble, de partager ce délice, moments lumineux, un art de vivre.
Véronique NÉROU
Artiste peintre
Portraitste
Diplômée des Beaux-Arts de Paris
Depuis 1995, voyage en Asie (Inde, Népal, Thaïlande)
