Harmonie entre un “temps naturel” et un “temps artificiel”

2002/10/10 Thursday 02:36 | Kaléidoscope, Le Pont

J’habite en Angleterre et j’admire la richesse de la culture sportive de ce pays. Le football, le rugby, le golf, le tennis, la boxe, le yacht, le billard, le bowling, les courses de chevaux. Tous ces sports sont soit nés ici, soit les Anglais en ont institué les règles. Quand on parle de grande nation du sport, aux côtés de l’Angleterre, on place les Etats-Unis. Le base-ball, le football américain, le basket-ball, le hockey sur glace. Bien que subissant l’influence des compétitions sportives anglaises, l’Amérique a su élever elle-même ces quatre grands sports au niveau des sports anglais.

Ainsi, la culture sportive mondiale actuelle peut être divisée en deux groupes : le groupe anglais et le groupe américain. Les pays où le football est populaire appartiennent au groupe anglais ; Les pays où, comme au Japon, le base-ball est florissant appartiennent au groupe américain. Entre ces deux cultures sportives, il y a de très grandes différences. Elles tiennent à la notion de temps.

Pour commencer, la façon de mesurer le temps est radicalement opposée. Dans le rugby ou le football, nés en Angleterre, l’écoulement du temps exprime le temps du match. Le chronomètre est mis en marche au moment de la mise en jeu. Si pendant le match les joueurs ou les supporters regardent ce chronomètre, ils voient que le temps continue à défiler. Par contre, dans les sports américains tels que le softball ou le basket-ball, le chronomètre marche à rebours. On prend alors comme critère le temps qu’il reste, et on sait toujours où en est le match. Quand le temps est écoulé et que le chronomètre est à zéro, le match est fini.

Ensuite, la façon de compter le temps est, elle aussi, différente. En Angleterre, on calcule le temps sans arrêter le match. Un match de football est divisé en deux mi-temps de 45 minutes chacune. Il y a donc 90 minutes en tout, qui correspondent à la durée du match. Au contraire, en Amérique, le temps est remis au début. Les temps de la première, de la deuxième période et des suivantes sont comptés séparément. Le match est fini quand on a recommencé plusieurs fois le temps imparti à chaque période.

Enfin, il n’y a pas de pauses. Dans les sports anglais, le temps est basé sur les prolongations. Quoi qu’il arrive durant le match, le chronomètre n’est jamais arrêté. Les moments perdus lors des interventions médicales sur les joueurs blessés ou lors des protestations sont pris en compte à la fin du temps réglementaire grâce aux prolongations. Par contre, dans les sports américains, le temps est interrompu. Les entraîneurs peuvent arrêter le chronomètre en demandant des pauses. Et chaque fois que le temps est interrompu, le chrono-mètre est stoppé puis la compétition redémarre. Ces stratagèmes qui consistent à utiliser à dessein le temps en décidant de l’arrêter ou pas sont des éléments à part entière du match.

Ainsi, quand on essaie de comparer le “temps ” dans ces deux grandes cultures sportives, on comprend les grandes particularités de chacun. Les sports anglais basés sur l’écoulement du temps, sa globalité, sa continuité, utilisent, même dans les matchs, un temps tout à fait naturel. Hier comme aujourd’hui, le temps se prolonge. Dans le football né en Angleterre il y a plus de 500 ans, les joueurs évoluent dans le même écoulement du temps que par le passé. Par contre, les sports américains ont opté pour un temps artificiel. Ils l’utilisent artificiellement en stoppant ou en relançant le temps grâce aux comptes à rebours, aux redémarrages ou encore aux arrêts de jeu. Ils utilisent adroitement le temps grâce aux interventions humaines.

Il est alors intéressant d’essayer de voir le reflet de ces notions de temps dans la vie réelle quotidienne. Au Japon par exemple. Nous vivons profondément encrés dans le temps artificiel américain. Tout d’abord quand nous nous réveillons le matin, le compte à rebours commence déjà dans les trains des heures de pointe. Et quand nous arrivons au travail, notre emploi du temps est minuté. Au coin de la rue ou même à l’izakaya, le temps est minuté. En fin de compte, même le feu de circulation qui est au carrefour fonctionne à rebours. Les personnes s’inquiètent uniquement du temps qu’il leur reste. Elles n’ont pas de temps libre où elles peuvent apprécier à loisir le temps qui s’écoule. A cause de cela, nous rivalisons actuellement avec les Etats-Unis pour la première place quant à la rapidité du rythme de vie.

La vague du temps artificiel envahit même l’Angleterre, pays sacré du temps naturel. A l’heure de la grande concurrence internationale, le manque de rendement et de rationalisation ne peuvent survivre. Et même en Angleterre que l’on dit conservatrice, la vitesse gagne la société. Malgré ce contexte, l’Angleterre chérit encore en quelques lieus le temps naturel. J’ai rencontré des personnes parmi les Anglais, travaillant comme les petits soldats des entreprises japonaises. Eux qui travaillent et regrettent leurs moments de liberté, ont précisément une vie minutée. Ces Anglais-là veulent passer leurs jours de congés dans la nature. La chasse par exemple. Cachés dans les arbres, ils retiennent leur souffle et attendent immobiles qu’une proie surgisse. Le temps qui s’écoule ainsi est exactement le temps naturel. Même si on le compare avec le temps tel qu’il pouvait être il y a des milliers d’années, il s’écoule de la même façon. Depuis cette époque-là, le temps continue de s’accumuler. Ces Anglais aiment être synchrones avec ce temps.
Dans ce monde, nous devons évoluer avec le temps artificiel. Mais, dorénavant, parce que nous sommes de notre temps, nous devons veiller à bien rester en affinité avec le temps naturel.

Yuichiro YAMAGAMI
Né en 1971.
Diplômé de l’université privée Keio. Département de jurisprudence, spécialité : droit
Employé 7ans au service des sports de Tokyo Télévision : envoyé spécial pour les JO de Nagano, pour la Coupe du Monde de Football en France…
Depuis sa démission, il fait un stage dans l’aviculture, en Angleterre






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