Le Mendiant de Paris

2005/09/18 Sunday 03:21 | Kaléidoscope, Le Pont

lepont6-sakamoto_hanijro
Récemment, j’ai eu la chance de redécouvrir l’une des premières oeuvres d’un peintre japonais s’appelant Sakamoto Hanjiro.
Cette oeuvre intitulée « Le Mendiant de Paris » m’a donné l’occasion, de me souvenir du jour où je lui ai rendu visite, il y a très longtemps, dans sa maison de campagne retirée au fin fond du Kyushu.
Le peintre, qui avait à l’époque 79 ans, s’entretint avec moi, un jeune marchand de tableaux d’à peine 28 ans.
Il parla d’art avec ferveur durant deux heures et je l’écoutais attentivement.
Parmi tout ce qu’il a raconté, une anecdote est restée plus particulièrement gravée dans ma mémoire.
Il m’a dit : « Je suppose que vous aurez un jour l’occasion de visiter le musée du Louvre. A ce moment là, allez d’abord à la galerie de Corot. »
Tout en l’écoutant, des paysages de verdure un peu grisée, image typique de Corot, se sont présentés tout de suite à mon esprit.
Cet image-là, avec des natures mortes aux couleurs de terre, sèche comme un mur, était loin du monde humide de Sakamoto.
Alors que je n’arrivais pas à relier le monde de Corot à celui de Sakamoto, ce dernier poursuivit :
« Quand on parle de Corot, on pense tout de suite aux tableaux qui représentent les paysages. Pourtant, je crois que l’essentiel de son oeuvre réside dans les dessins de personnages. Ceux-ci ne représentent que des simples agricultrices et des servantes, mais leur allure est si bienveillante qu’on aurait envie de s’approcher d’elles si on les avait croisées dans la rue. De même, j’ai toujours souhaité dessiner les choses que l’on pourrait reconnaître par rapport à ce que l’on a vécu.
Maintenant, je ne dessine que des natures mortes et des têtes de chevaux, mais quand j’étais jeune, lorsque j’étais en France, je dessinais des personnages. Pour moi, le motif n’a pas d’importance. Car ce n’est qu’un moyen permettant d’exprimer la reconnaissance. J’appelle ce sentiment “la sensation d’existence”. »
Puis il me montra un recueil de ses oeuvres, dont l’une était « Le Mendiant de Paris » ( 27 cm x 19,7 cm, gouache ) qui m’a fort attiré. Il est difficile de distinguer si le mendiant est un homme ou une femme. Je lui demandais où il avait vu ce mendiant ; il me répondit : « Dans la rue. »
Depuis ce jour, quarante-trois années se sont écoulées. Malgré le temps, je garde ce mot inconnu dans mon coeur : « la sensation d’existence ».
Ce tableau m’impressionne beaucoup, car tout en étant d’une taille relativement modeste, il est tout aussi imposant qu’une oeuvre ayant le poids de sa propre existence.
Ce poids s’explique non pas par rapport au sentiment d’intimité que je ressens envers ce tableau, mais plutôt par une impression de reconnaissance pour des motifs primitifs que les personnes âgées, pleines d’expérience, doivent aussi savourer dans leur vie.
Ainsi quelque chose s’est imposé en termes banals dans mon esprit : « Ce tableau représente une certaine réalité. » Je me suis alors rendu compte qu’il fallait remplacer « la sensation d’existence » par « la réalité ». Toutefois, ce que je désigne avec ce mot « réalité » ne signifie pas le fait de ressembler au réel, bien au contraire. Le motif lui même est remplacé par une autre expression et est transcendé à travers le réel. C’est l’émotion éprouvée lorsqu’on atteint, dans l’inconscient, une couche de mémoire datant des temps préhistoriques.
C’est comme le coucher du soleil qui, aux temps préhistoriques, a dû faire imaginer à l’homme la fin du monde. Il nous provoque chez nous aujourd’hui aussi la même mélancolie.
Maintenant, je regarde attentivement « Le Mendiant de Paris »
Je constate que ce mendiant possède des yeux brillant d’une lueur discrète semblable à celle du coucher du soleil, mais son expression n’est guère triste. Son allure posée exprime l’éternelle destinée humaine qui doit tenter de vivre jusqu’au dernier jour.

décembre 2004
à Karuizawa

Akira NAKAGAWA

Né en 1933 à Mandchourie
Fin d’études au lycée Nichidai, section cours du soir
Aprè savoir travaillé pendant 10 ans à la galerie Umeda à Osaka,
il a fondé sa propre galerie nommée Papier Galerie à Ginza, Tokyo
En 1972 sa seconde galerie a été fondée à Karuizawa dans le département de Nagano






Recommended Posts