L’AVENTURE INTERIEURE

2002/12/11 Wednesday 05:19 | Kaléidoscope, Le Pont

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L’Aventure, c’est l’aventure. Aller chercher une baguette de pain au bout de la rue, pour un enfant qui débute dans la vie. Un départ pour un pays lointain et inconnu, avec projet ethnographique ou commercial, une exploration, pour un adulte plus expérimenté. Ca peut être également un séjour dans une famille du monde, pour se connaître. Ou encore un tour du globe à la voile, en solitaire, un défi à soi-même et aux éléments naturels. Chacun aborde un jour, à sa mesure, un type d’aventures qui ne ressemble pas à celle du voisin.

J’ai connu un homme originaire d’Alsace, qui à 84 ans, est parti sur les traces de son grand-père, militaire au Japon à l’ouverture du pays, en 1874.
Un autre a mené, après la guerre de 39-45, une entreprise de fabrication de pièces mécaniques, de 5 employés à 3000.
Une autre arrive du Jura avec parents et misère et fabrique des chapeaux à Paris.
Une autre fait le tour de l’humanité en chanson et devient la muse des poètes…
Il y a tant d’exemples d’aventures ordinaires ou extraordinaires.

Mais quelle est l’aventure que vit un enfant lors de sa naissance pour parvenir à exister et à avoir conscience d’exister ? Et depuis sa naissance jusqu’à sa maturité ? Et l’homme mûr jusqu’à sa mort ?
Et avant sa naissance ? Et après sa mort ?

L’aventure commence sans qu’on le sache au moment où chacun aborde “l’extérieur”.
Elle commence dès la sortie de notre cocon protecteur, notre ventre maternel, où, ni le dedans, ni le dehors n’existe encore.

Depuis notre conception, la reconnaissance des sensations est progressivement programmée dans notre corps physique en formation.
Au moment de la naissance, nous n’avons pas conscience de ce qui nous arrive. Nous n’avons pas conscience que le fait de mettre le nez dehors nous éloigne déjà, inexorablement de la “connaissance” que nous avions dans le ventre maternel d’un absolu, d’une présence à nous-même si précise que là, il n’y avait pas de différence entre “être” et “avoir conscience d’être”.

L’aventure commence.

Ce premier souffle nous donne la sensation d’une différence, douloureuse, entre avant et maintenant. Et ce premier souffle nous donne aussi l’accès au verbe, qui nous met en chemin vers la conquête du monde, car nous pourrons nommer cette différence, plus tard.

Il faut que je vous dise que ma conviction me fait penser que la conquête du monde extérieur n’est pas autre chose que la conquête de soi, intérieure. Ce n’est juste qu’une transposition.

L’esprit qui habite notre corps de chair doit apprendre à conduire son nouveau véhicule. Manger, voir, sourire, regarder, appeler, écouter, demander, aimer, marcher, communiquer …
Rien que la mise en place de ces capacités est déjà une conquête prodigieuse de l’enfant, qui apprend à utiliser ses forces neuves. Il installe les connexions neuronales, il apprend la pensée humaine, intègre le mode de vie de son milieu.

Et il gère au quotidien ses sensations internes. Apprendre à s’écouter dedans autant qu’on écoute dehors. Le respect qu’on éprouve pour les autres est à la mesure du respect de soi-même.

Nous-mêmes, enfants, en relation avec notre milieu, notre famille, nous vivons les expériences comme si nous construisions un bâtiment, pierre par pierre. C’est ainsi que nous installons nos fonctionnements, nos particularités, notre personnalité. Nous avons choisi un terrain pour venir : notre famille, pays … Nous avons reçu les projections et les programmes de nos ascendants. Avec cet acquis nous bâtissons notre base d’expériences : l’enfance. Peu à peu, au fur et à mesure de notre perfectionnement, nous mettons en action notre potentiel porté avec nous, intégré dans notre mémoire cellulaire.
Nous avons un objectif dont nous n’avons pas, tout d’abord, la perception. L’adolescence affirme des caractéristiques, l’entrée dans l’âge adulte fixe les directions, l’accès à la maturité confirme ou infléchit le projet…
Le sentiment de réalisation est en fonction du degré de correspondance entre l’être intérieur que nous sommes et les actes que nous posons ; l’épanouissement personnel est au prix de l’honnêteté de la recherche.

Il semblerait que ce soit au seuil de la mort qu’un remue-ménage intérieur fait surgir le bilan. Le questionnement, les parts d’ombre, les cadavres cachés de la mémoire, les regrets des “non-dits” ou “non abordés de front”. Ou le sentiment d’accomplissement. De ce bilan découle la tranquillité d’esprit, le sentiment de paix, la révolte ou la peur face à la mort.

L’aventure, dans le sens où je l’entends, consiste à effectuer la traversée “naissance-mort” en accomplissant au mieux ce que Paolo Coelo appelle sa “Légende Personnelle”. Dosage subtil entre se donner à corps perdu dans les projets que l’on génère, quels qu’ils soient, et donner à la personne que nous sommes, corps et âme unifiés, le meilleur que l’on puisse lui donner.

Etre là, ici et maintenant, corps et âme unifiés, est un exercice complexe qui nécessite de relâcher un intellect actif, de laisser s’unifier les sensations, de relâcher les dualités, et de se relier à un intérieur aussi difficile à atteindre qu’un oasis dans un désert ou une île au milieu de la mer.
N’est-ce pas là aussi une aventure extraordinaire ?

Marielle RICK

Enseigne le Yoga.
Artiste plasticienne (photo, peinture…).
Habite à Paris – Ménilmontant.






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