OSAKA, VILLE FASCINANTE ET MULTIPLE

2004/10/17 Sunday 01:39 | Kaléidoscope, Le Pont

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Osaka est une ville qui se mérite. Il faut savoir s’y perdre et faire confiance au tracé magique d’une métropole qui de rues en rues vous attire toujours plus loin, au cœur du mystère même du Japon : cette alliance d’une modernité éclatante et de traditions séculaires bien ancrées dans un quotidien. A l’image d’un mariage d’amour et non de raison.

Ville d’affaires mais aussi ville de charme, Osaka est avant tout une ville généreuse et authentique. Elle ne renie rien, affirme clairement ses ambitions et revendique une identité forte, pour le plus grand bonheur de ses habitants et des voyageurs qui auront l’intelligence de s’y attarder quelques jours. Loin des hordes de touristes à l’assaut des temples, Osaka offre le visage serein d’une vraie ville japonaise avec ses monuments historiques, ses marchés colorés, ses arts traditionnels, ses grands magasins et ses échoppes de quartier populaire. C’est une ville où, loin des clichés habituels, il fait bon flâner. Ici, on peut marcher à son rythme, goûter l’air du temps ou se plonger dans le passé au gré de ses humeurs ou des hasards de la promenade.

Je me souviens en particulier d’une splendide journée d’été où, partie tôt le matin d’un Kyoto déjà grouillant d’activités, je me suis retrouvée dans Osaka la sereine : j’ai traversé la ville à pied, sans me presser, de la gare située dans le nord jusqu’au parc Tennoji dans le sud, et jamais promenade ne m’a paru aussi simple, belle et variée. Je suis allée de découverte en découverte, le nez en l’air, avec l’impression que la ville me tendait les bras et que j’avais seulement l’embarras du choix. Car que choisir de voir ? Les musées passionnants, le château sorti tout droit d’un film de Kurosawa, les parcs reposants, le fleuve et sa langueur, les théâtres pour se dépayser, les magasins pour admirer tout ce qu’on ne pourra jamais s’acheter (encore que, parfois…), le jardin botanique pour les espèces rares, l’aquarium et ses poissons incroyables, les visites commentées d’usine pour essayer de percer le monde du travail au Japon, le vieux marché de Tsurubashi ou le quartier à l’architecture détonante de Namba ?

Mon conseil : laissez la ville vous prendre, laissez-vous entraîner par ses parfums, ses cris ou ses silences. Parfums des fleurs, des arbustes dans les jardins et les allées, cris des marchands et des journaliers aux voix rauques sur les marchés qui confinent à la musique sérielle, silence des quartiers assoupis (mais si, il y en a à Osaka !), des parcs et des salles fraîches de musée. Et tout doucement une sensation rare vous gagne, quelque chose qui a une saveur oubliée, celle du bonheur.

La générosité de Osaka, vous ne la trouverez pas dans les guides : elle est dans le sourire de ses habitants, dans cet accent chantant, dans cette douceur de vivre qui respecte les goûts et la personnalité de chacun. Le voyageur se sent vraiment accueilli. Avec discrétion et respect.
Les férus d’art et d’histoire se précipiteront à la découverte du Château, du Musée des Céramiques Orientales, du Musée Fujita, du Musée d’Ethnologie ou d’Art Municipal, tandis que d’autres préféreront se plonger dans les arcanes du théâtre Bunraku ou visiter le Musée d’Artisanat Japonais. Les gastronomes auront à cœur de goûter cette cuisine bien différente de celle de la capitale. Osaka a plus d’une corde à son arc. Tout n’est qu’une question de temps et d’envie. Mais cette ville a une qualité en voie de disparition : la modestie.

Forte de ses traditions, consciente de son rôle économique et culturel, Osaka est surtout à mes yeux (et dans mon souvenir) une ville formidablement vivante. Attachante. Ce n’est pas une ville-musée, c’est une ville où l’on vit bien, où l’on aime, s’amuse et sort. Comme la capitale est loin tout d’un coup ! Osaka annonce en effet déjà le sud, avec un accent, des saveurs culinaires, un rythme et des valeurs autres. Les habitants n’oublient pas ici de lever les yeux pour regarder le ciel. Quelle splendeur cela doit être au printemps ou à l’automne !

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Pour finir, ce dernier moment magique : celui d’une représentation de Bunraku. Rien à voir avec une soirée guindée, le spectacle commence tôt dans la journée, on y vient en famille ou avec une amie, on entre et on sort de la salle de spectacle à son gré, on fait ses commentaires à haute voix, on rit : bref, on se sent chez soi, entre amis. Jamais la beauté hiératique de ces marionnettes (qui m’évoquent toujours le fameux texte de Kleist sur le paradoxe de la vie réelle de ces poupées) ne m’est apparue plus flagrante que ce jour-là. D’un côté le sublime, le jeu de l’apparent et du caché, de l’ombre et de la lumière, de la technique et de la grâce – de l’autre la joie de vivre des habitants d’Osaka, leur gaieté, leur naturel déconcertant et fascinant pour nous autres Occidentaux coincés.

Oui, Osaka est vraiment une ville à part. Une ville à découvrir autrement, avec son cœur. Je crois vraiment qu’elle change quelque chose en nous. Une certaine vision des autres et du monde. Moi, elle m’a donné un sentiment de paix et de joie auquel je ne m’attendais pas, le temps d’une halte entre Kyôto et Kôbe. Elle m’a donné l’impression (et non l’illusion) que le monde moderne peut rester humain et généreux. Si seulement ces qualités-là pouvaient aussi s’exporter…

HERVIEU Hélène

Professeur d’allemand
Actuellement, traductrice de norvégien et d’allemand en français
Habite à Paris

(Illustration: Shinji IWAMOTO)






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